"Don't Call Me Angel" : Ariana, Miley, Lana et le féminisme en pilotage automatique

Trois énormes popstars, Ariana Grande, Miley Cyrus et Lana Del Rey, s'associent pour la musique du film Charlie's Angels. Sauf que le résultat n'est pas tout à fait à la hauteur des attentes.

Sur le papier, l'annonce avait de quoi nous mettre des étoiles dans les yeux. Ariana Grande, Miley Cyrus et Lana Del Rey, trois icônes de la pop féminine, devaient unir leur force de frappe sur le single de la nouvelle BO du reboot de Charlie's Angels (que ton sugar daddy appelait autrefois les "Drôles de dames"). Telles des Avengers de la musique mainstream, les filles allaient nous apporter toute l'énergie du girl power qui nous manquait cruellement en ce début de rentrée.

"Don't Call Me Angel" aurait dû être l'hymne badass destiné à être diffusé à plein volume jusqu'à faire vrombir le miroir de ta salle de bains tous les matins à l'heure de la crème hydratante. Mais, assez ironiquement, le titre manque de souffle, de cohérence, et surtout, de féminisme. Un comble pour un titre de 2019, sorti après #MeToo, après Lizzo, après une vague sans précédent de chansons émancipatrices, positives ou guerrières.

Problème #1 : le clip. Il ne s'y passe pas grand chose : les filles se dandinent mollement, portant des ailes d'ange comme si elles avaient été conviées à un défilé Victoria's Secret. Miley y joue son rôle préféré, celui de la meuf vénère, ici en boxeuse sur un ring arborant le logo du film. Ariana, son rôle, on ne sait pas vraiment. On la voit errer sans but dans le hall d'un manoir, ou balancer des ordres dans un talkie walkie. Et puis il y a Lana.

Il est intéressant d'observer comment la mystérieuse Lizzy parvient à se faire une place dans ce trio de personnalités pas totalement compatibles. Comment la beauté rétro hollywoodienne de Lana Del Rey parviendrait à jouer des coudes avec Miley la délurée et Ariana la bling beauty queen ? Au final, c'est peut être elle qui s'en sort le mieux, déployant sans forcer son aura de femme fatale au charme désuet, façon James Bond Girl maniant les armes blanches.

Problème #2 : la chanson. Co-écrite en trio, avec l'aide d'une team de suédois (Max Martin aux commandes, encore et toujours), le titre possède un chouette refrain, mais le reste est un peu bancal. Miley ouvre le premier couplet, Ariana le second, Lana se charge du pont. Mais au final, on obtient quand même une chanson d'Ariana Grande : la prod' est proche de ce qu'elle a sorti récemment, et sa voix est surmixée sur les refrains. Et si chaque partie du titre colle à l'univers de chaque protagoniste, le résultat ressemble malheureusement à un patchwork incohérent.

L'autre bémol concernant "Don't Call Me Angel", c'est son féminisme fatigué. On est pourtant en présence de trois puissantes entertaineuses, qui chacune dernièrement a prouvé à quel point elles pouvaient être pertinentes sur le sujet. Ariana Grande a cartonné avec "7 rings", un titre dans lequel elle se vante de s'être offert sept alliances pour sceller son amitié avec ses six meilleures copines. Miley Cyrus a dévoilé cet été une vidéo rentre-dedans où elle célèbre toutes les formes de beautés féminines. Lana, elle, rejoue King Kong ou l'Attaque des Titans, dans un clip où elle sème la panique dans les rues de Los Angeles, cherchant à se venger de son petit ami volage.

Pourtant, rien de cette jouissive folie créative ne perce dans "Don't Call Me Angel". Le titre se contente d'enfiler les clichés comme on enfile des perles. Pire : sur son couplet, Lana Del Rey (qui n'a jamais été vraiment branchée par les thèmes féministes d'ailleurs) s'excuserait presque d'être une femme forte. "I appreciate the way you watch me, I can't lie". Ou comment faire retomber comme un soufflé toute la thématique girl power en permettant au male gaze de faire une apparition totalement hors sujet.

Problème #3 (et pas des moindres) : elles souffrent salement de la comparaison avec les Destiny's Child. Datant d'il y a presque 20 ans, "Independent Women" était le titre phare de la BO du Charlie's Angels sorti en 2000 (celui avec Cameron Diaz, Drew Barrymore et Lucy Liu). Alors en pleine préparation de leur album Survivor, Beyoncé et ses collègues de bureau ont posé leur voix sur ce titre r'n'b typique de l'époque, et déjà bien ancré dans la thématique féministe.

"I buy my own diamonds and I buy my own rings / Only ring your celly when I'm feelin' lonely"... Oui, le titre est un peu la grande soeur du "7 rings" d'Ariana, mais surtout un club banger inoxydable, plein d'énergie et de fierté. Les filles y affirment sans sourciller que non, merci, elles s'assument très bien et n'ont pas besoin de s'encombrer de mecs. Le très poussif "Don't Call Me Angel" ne fait malheureusement pas le poids face à ce monstre de classe à l'efficacité redoutable, qui tient encore la route aujourd'hui.

Au final, ce "power trio" Ariana/Miley/Lana est un peu un rendez-vous manqué. Il laisse l'impression globale que les filles n'avaient pas nécessairement l'envie ou le temps de travailler ensemble, se contentant de fournir le minimum syndical en attendant de voir tomber les chiffres du streaming. Bosley va devoir resserrer la vis : il y a clairement du laisser aller chez les Drôles de dames de la pop.