Mylène Farmer : et si Désobéissance était son meilleur album "moderne" ?

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A 57 ans et plus de 34 ans de carrière, la chanteuse tente un énième lifting musical en s'associant avec le DJ français Feder. Et si cette fois c'était la bonne ?

 

En France, on n'aime les produits culturels que lorsqu'ils sont impeccablement marketés. Par exemple, le deuxième album très poussif et rétro de Christine And The Queens, sorti la semaine dernière. En grosse panne d'inspiration, au point de piller la banque de sons de Logic Pro et les meilleurs gimmicks de l'album Bad de Michael Jackson, Chris, en un tour de passe-passe, se présente comme le parangon gender fluid de la modernité, simplement en se coupant les cheveux et en recyclant sans finesse tous les poncifs de la culture butch.

 

Mylène Farmer, elle, en a vu d'autres. Inutile d'expliquer à la chanteuse de "Sans contrefaçon" comment exprimer le trouble du genre dans une pop song qui se vend à 500 000 exemplaires dans la France de 1987. Farmer était moderne avant tout le monde. Et c'est sans doute son plus gros point faible. Après avoir révolutionné le format pop, la façon de faire des clips et de parler du sexe, de l'amour et de la mort dans des titres de variétés sombres, altiers et lettrés, la chanteuse francophone la plus bankable de l'histoire a eu bien du mal à se renouveler au tournant des années 2000.

 

On dit toujours que les meilleurs artistes font toujours le même disque, écrivent toujours le même livre, tournent toujours le même film. C'est le cas de Mylène, qui ressasse depuis toujours les mêmes thèmes et références dont les exégètes de son impressionnante fanbase se délectent à chaque sortie d'album. En revanche, les journalistes ne savent jamais quoi faire de celle qui donne si peu d'interviews, se montre rarement, ne s'exprime jamais sur l'actualité. Alors on brode sur son "mystère", ses concerts pharaoniques, sa timidité, sa mélancolie, Mylène, est-ce que vous dormez vraiment dans un cercueil etc. Mais le fait est que le business Farmer se heurte à un énorme problème : même si les stades ne désemplissent pas, ses chansons gracieuses à la beauté fragile se cassent les dents depuis des années sur des productions chic et toc aux frontières du ringard.

 

 

Après avoir tenté la girly pop à synthés des 80's avec les premiers albums d'Alizée, puis l'électro BDSM ambiance backroom et poppers sur Point de suture, et enfin l'eurodance de fête foraine sur Bleu Noir et Monkey Me, il fallait bien se l'avouer : quelque chose déraillait salement dans la machine à danser farmérienne. Bien sûr, on adore réécouter "Oui mais... non" et on connait par coeur la choré de "Moi... Lolita", mais être fan de Mylène Farmer, depuis quelques années, c'est avant tout devoir se coltiner les railleries incessantes des gens de bon goût.

 

Pourtant, à l'écoute de son 11ème album Désobéissance, il faut se rendre à l'évidence : Mylène a rattrapé le wagon de la modernité. Au point de faire passer l'album de "Chris" pour un vieux machin sans âme. Cette fois c'est la bonne : les compos de Mylène ont trouvé comment se caler sur les sons de 2018. Et ce, grâce à un producteur providentiel sur lequel on n'aurait pourtant pas misé grand chose : le DJ Feder.

 

Pour l'avoir vu cet été en festival, le français sait tenir un public et maîtrise les codes d'un bon DJ set comme n'importe quel entertainer à la David Guetta. Ses titres ("Goodbye", "Lordly", "Breathe") sont le genre de morceaux inoffensifs mais efficaces qui tournent en boucle sur Virgin Radio et ravissent la petite bourgeoisie blanche qui aime s'encanailler sur les rooftops. Mais les sons de Feder ont un petit quelque chose de dark 80's classieux qui colle pour le coup parfaitement avec l'univers farmérien. Et l'association des deux est proprement miraculeuse.

 

 

Mylène reprend sa voix caverneuse de "L'instant X" sur le blasé "Rolling Stone" qui ouvre l'album, avec ses airs de face B bizarre et lancinante (et dieu sait qu'on adore les faces B bizarres). "Sentimentale" et "N'oublie pas" sont des petits tubes europop qui feront les beaux jours des playlists de RFM mais qu'on n'a plus honte d'assumer. "Histoires de fesses" et "Get Up Girl", les traditionnelles chansons sexe et spleen émancipatrices, sont habillées d'une electro ouvragée et foutent une sacrée claque. Et même lorsque Farmer nous rejoue le spoken word sur un texte de Baudelaire ("Au lecteur"), clin d'oeil à "L'horloge" qui ouvrait l'album Ainsi soit-je, on se dit qu'elle n'a rien perdu de sa puissance évocatrice d'éternelle goth queen.

 

Loin, très loin de son calamiteux nouveau projet musical avec Laurent Boutonnat, l'album Désobéissance replace Mylène Farmer sur la carte du cool, et redonne enfin à la chanteuse ses lettres de noblesse dans le paysage aujourd'hui dévasté de la variété française. Les sons électro sophistiqués vont peut être dérouter un peu quelques daronnes fans de l'époque Innamoramento et ses ballades noyées sous les synthés et la reverb', mais les autres redécouvriront une Mylène toujours prête à en découdre, et finalement bien plus proche de ses influences originelles que ce qu'on a pu entendre ces dernières années.