Sia, les tubes clés en main

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Il y a une quinzaine de jours, la chanteuse australienne Sia s'enthousiasmait sur Twitter : "Omg I have two songs in the top ten. All written from the sofa. I love my job."

 

Depuis quelques mois, Sia Furler est devenue l'auteur-compositeur (et parfois interprète) la plus réclamée par les popstars du monde entier. La "faute" à David Guetta (mais tout est toujours de sa faute), qui a eu la riche idée de s'offrir ses services pour le titre "Titanium", grosse turbine EDM et collaboration fructueuse s'il en est : le duo s'est retrouvé numéro 1 un peu partout sur la planète.

 

Quant aux deux chansons évoquées dans le tweet, il s'agit de "Diamonds", une étonnante ballade écrite pour Rihanna, et "Let Me Love You", un titre dance composé pour Ne-Yo, qui n'avait pas eu de hit depuis des temps immémoriaux.

 

 

Les fans de la Sia des débuts s'arrachent les cheveux. Pour certains, elle aurait vendu son âme au diable de la pop mainstream. Je ne suis pas de cet avis. Je partage son enthousiasme et je me réjouis de son succès tardif en tant que fabricante de tubes clés en main pour popstars en manque de bonnes chansons. Car après tout, elle récolte aujourd'hui les fruits d'années de travail, de galères et de (relatif) insuccès populaire.

 

Sia, c'est avant tout "Breathe Me", une chanson que les fans de Six Feet Under évoquent avec des trémolos dans la voix et "une poussière dans l'oeil". Avec "Breathe Me", c'est aussi le début de la reconnaissance d'un talent rare d'écriture pop. Quiconque s'est un peu intéressé au personnage Sia sait que ses chansons sensibles ne viennent pas de nulle part. Démarrer sa vie d'adulte en perdant son petit ami, tué dans un accident de voiture, ça laisse des traces. La gueule de bois qui s'ensuivit pour oublier a duré des années. Aujourd'hui encore, entre dépression et problèmes de santé assez compliqués, on peut comprendre que le titre de son album Some People Have Real Problems, bien qu'ironique, soit aussi quelque part autobiographique.

 

 

Mais quiconque a déjà assisté à un concert de Sia (j'ai eu la chance de la voir à deux reprises) sait à quel point cette meuf fait preuve d'une drôlerie et d'un enthousiasme contagieux. J'ai rarement vu quelqu'un d'aussi allumé, agité, capable de se poiler durant d'interminables minutes avant de reprendre, l'instant d'après, une interprétation bouleversante et impeccable. Sia a une voix incroyable, de celles qui ont beaucoup ri, pleuré et picolé. Elle adore "performer", mais sa maladie chelou fait qu'aujourd'hui on ne sait plus trop si on la reverra en tournée de sitôt.

 

 

Alors oué, Sia a tout à fait le droit de devenir la "voix" des tubes dance de Guetta et Flo Rida, de démouler à la chaîne des morceaux de 3mn30 destinés aux radios et au Billboard. D'abord parce que, même noyées sous une prod' putassière et des claviers FM, ses chansons restent parmi les meilleures du moment. Et aussi parce que "She Wolf" ou "Diamonds" sont autant d'alternatives bienvenues, à une époque où la pop moderne se contente de siffler des bouteilles de vodka sur le dancefloor en roulant du popotin avec Pitbull et ses poules de luxe.

 

Enfin, je trouve assez jouissif de voir cette jeune femme au physique bizarre, à la psyché tourmentée et à la sexualité trouble (bisexuelle déclarée, elle a eu des projets de mariage avec JD Samson du groupe Le Tigre) se faire une place au soleil dans le monde très macho du music business. J'imagine la tête des homophobes intégristes qui défilaient ce weekend dans les rues de Paris s'ils apprenaient que la nana responsable de ces airs sympas qu'ils fredonnent toute la journée sur NRJ fut un temps la compagne d'une icône butch, punk et féministe...

 

 

Sia prépare en ce moment même un nouveau disque solo. Ses fans espèrent qu'elle reviendra à ses premières amours, à une adult pop plus authentique, et qu'elle s'éloignera pour quelque temps des sirènes du Top 40. Pour ma part, même si la Sia de "Soon We'll Be Found" ou de "Buttons" me manque, j'espère qu'elle continuera en parallèle à truster les charts avec d'autres : elle sera prochainement sur les albums de Ke$ha et de Tegan & Sara. You go, girl !