Destination Eurovision : la France grande gagnante... de la com'

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Le concours de l'Eurovision et les français, ça n'a pas toujours été une grande histoire d'amour. Pourtant, en l'espace de trois ans, la patrie de Marie Myriam est passée de canard boiteux à celle dont tout le monde surveille désormais les faits et gestes. Comment l'émission Destination Eurovision a déjà fait gagner la France sur le terrain de la com' ?

 

Dans l'histoire de la France à l'Eurovision, il y a un avant et un après 2015. Souvenez-vous. A Vienne, le beau gosse Mans Zelmerlöw fait gagner une fois encore la Suède au grand concours européen de la chanson, avec le titre "Heroes". La France, elle, terminera avant-dernière. Lisa Angell et sa chanson "N'oubliez pas" n'ont pas convaincu, et pour cause : au milieu d'une sélection de tubes eurodance pétaradants, la ballade surannée de la pauvre Lisa fait un peu tâche. Cette fois, c'est la défaite de trop : le peuple gronde, la délégation française va alors se remettre en question, et tenter de briser la spirale infernale de la lose.

 

Car la France, ce sont des années de défaites cuisantes à l'Eurovision. Lors des dernières éditions, le pays aura terminé 15 fois en dessous de la 15ème place. Et les eurofans français commencent à en avoir marre de passer le balai au fin fond du classement, et d'être la risée du vieux continent. Arrive Edoardo Grassi, un jeune loup fasciné par le monde du spectacle et des médias, et grand fan du concours. En 2016, il devient chef de la délégation française et annonce vouloir tout dépoussiérer. Il mise (ENFIN) sur la pop et la modernité, et envoie au concours un ancien candidat de télé-crochet, Amir Haddad. Bonne pioche : "J'ai cherché" se retrouve catapulté 6ème du classement, et le pays relève la tête. Youhouhouhouhou !

 

 

Cette année, la délégation française veut aller encore plus loin, avec un programme intitulé Destination Eurovision. Il s'agit d'un concours de présélection, dont la plupart des autres pays européens ont déjà adopté le principe (voir le Melodifestivalen en Suède) : plutôt que de laisser une seule personne envoyer un titre au doigt mouillé en espérant que ça prenne, ce sont les eurofans eux-mêmes qui choisiront la chanson qui représentera la France au concours. Au cours de trois soirées en prime-time sur France 2, 18 chansons (soumises par de jeunes artistes en développement) seront en compétition. La première demi-finale avait lieu samedi dernier.

 

 

The Voice 2, la revanche ?

 

Très rapidement, les réseaux sociaux n'ont pas tardé à mettre le doigt sur un problème : sur les 18 candidats en lice, 8 sont déjà passés par le télé-crochet The Voice. On trouve ça louche, d'autant que The Voice et Destination Eurovision sont produits par la même boite, ITV Studios, et partagent le même directeur de casting. Ca commence à faire beaucoup.

 

En réalité, ce phénomène s'observe déjà dans les autres pays : les jeunes artistes qu'on envoie aux présélections viennent très souvent des télé-crochets locaux, car on estime qu'ils sont déjà rodés sur scène et n'ont plus forcément besoin de media training pour répondre aux interviews, serrer les louches des membres des autres délégations, etc... Les artistes The Voice sont des chanteurs clé-en-main, déjà armés pour le grand marathon promo de l'Eurovision.

 

 

Franche touch

 

Alors, à quoi ça ressemble, Destination Eurovision ? Certes, on est bien loin des moyens faramineux du Melodifestivalen, son équivalent scandinave qui réunit chaque année un suédois sur deux devant son poste de télé. Mais l'effort est louable : pour une émission qui essuie les plâtres, elle ne faisait pas pour autant peine à voir. Lors des deux demi-finales, c'est un jury composé de trois artistes francophones (Amir, Isabelle Boulay et Christophe Willem) et trois membres de délégations européennes (un suédois, une biélorusse et un italien) qui sélectionne quels artistes iront en finale.

 

Et samedi soir, la star de la soirée et des réseaux sociaux fut sans conteste Christophe Willem, qui, à la surprise générale, a taillé en pièces tous les participants, sourire éclatant mais punchlines assassines. Avec ses remarques pointues et parfaitement fondées, l'ancien gagnant de Nouvelle Star s'est révélé en spécialiste pop intransigeant et passionné.

 

 

Lisandro, bête de concours

 

Parmi les gagnants de la première demi-finale, le grand favori est le jeune Lisandro Cuxi, qui avait remporté The Voice l'année dernière et participait déjà à The Voice Kids l'année précédant sa victoire. A tout juste 18 ans, le garçon est un tueur : bonne voix, charisme explosif, maitrise de la danse et gimmicks de lover, Lisandro est une putain de popstar née. Malgré tout, son premier album sorti l'an dernier (Ma bonne étoile), un peu trop variet' et avare en tubes, n'a pas trouvé son public.

 

Pourtant, "Eva", le titre qu'il a présenté samedi, a mis tout le monde d'accord, grâce à son énorme refrain plus-eurovision-tu-meurs. Portugais d'origine capverdienne, né à Lisbonne, beaucoup le voient déjà arriver en finale et retourner dans sa ville natale (où se déroule le concours cette année) défendre son morceau en mai prochain. L'Eurovision pourrait être le tremplin rêvé pour un artiste qui mériterait vraiment qu'on lui offre une chanson à la mesure de ses (impressionnantes) capacités vocales et scéniques.

 

 

Hit Music Only

 

Quant à la sélection de titres, même si l'on reste quand même sur le terrain d'une pop variété un peu poussive (voire calamiteuse), un effort a vraiment été fourni pour donner à la France une chance de briller cette année au concours. La preuve : les gros poissons de l'industrie du disque ont tous fait acte de présence sur un titre. Zazie et Olivier Schultheis, Maître Gims et Renaud Rebillaud, Dany Synthé ou le producteur de Vianney : qu'on les aime ou non, tous les faiseurs de tubes de l'hexagone ont répondu présent.

 

 

Around the world

 

Pourtant samedi, les audiences françaises de la première demi-finale du show présenté par Garou n'étaient pas au beau fixe. Sauf que sur le Facebook Live, tous les eurofans étaient au rendez-vous. Boudée en France, l'émission a suscité une curiosité immense à l'étranger : sur Twitter, #DestinationEurovision s'est vu catapulté 3ème des tendances en Belgique, 5ème en Espagne, 6ème au Royaume-Uni, et mieux encore : 4ème des tendances monde ! Pourquoi un tel engouement ? Les eurofans sont une très vaste communauté d'obsessionnels, qui se passionnent déjà pour les présélections des autres pays. Les nombreux teasings pour celles de France 2 ont atteint leur objectif : mobiliser les fans partout dans le monde.

 

 

Destination Eurovision, c'est donc avant tout une belle opération de com' pour la délégation française : en créant cette présélection, la France bénéficie du buzz énorme suscité par l'évènement. Les sites spécialisés prisés par les eurofans (comme les britanniques de Wiwibloggs) se rendent sur place à Paris et commentent les prestations, les forums s'emballent... Peu importe qui représentera la France cette année, il/elle sera déjà exposé(e) à toute la communauté de fans du concours.

 

Au final, alors qu'on aurait pu craindre la catastrophe, Destination Eurovision tient debout et suscite l'intérêt chez les eurofans en France et à l'étranger, sans pour autant déclencher une vague d'adhésion incroyable dans un pays qui a toujours fait de la détestation de l'Eurovision un sport national. Nouveau dans le grand bain des émissions de présélection, le programme et son dispositif ont déjà convaincu nos voisins européens. Il ne leur reste plus qu'à convaincre... le public français.

 

Destination Eurovision 2018, 2ème demi-finale : samedi 20 janvier 21h sur France 2.

Destination Eurovision 2018, Finale : samedi 27 janvier 21h sur France 2.