Miley Cyrus & Her Dead Petz, on en parle ?

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Il faut parfois se méfier des apparences. Sous ses allures de hot mess, aimant à slut shamers, freaky bitch décomplexée et déglingos obsédée par le sexe et la weed, Miley Cyrus nous a prouvé ce weekend qu'elle sait parfaitement ce qu'elle fait.

 

Dans le music business, tout est question de timing. Trouver le moment parfait pour laisser son empreinte dans l'inconscient collectif, la culture pop, le zeitgeist. Dimanche dernier, Miley présentait les MTV Video Music Awards. Elle peut se targuer d'avoir animé sans doute l'émission la plus représentative de son époque : un show triste et misérable, un véritable désastre, une soirée marquée par un manque cruel de popstars dignes de ce nom (on notera l'absence de grands noms comme Beyoncé, Rihanna ou Lady Gaga, ainsi que des très gros vendeurs Diplo ou Fetty Wap), ponctuée de moments de gène intersidérale (Nicki Minaj qui jongle entre beefs et réconciliations scénarisées à outrance, Kanye West et son discours chaotique de 12 minutes). Miley, pendant deux heures, aura essayé de faire vivre une cérémonie qui tente de garder artificiellement en vie son aura de programme sulfureux, pop et avant garde, mais avec les ressorts grotesques et cheap des programmes de télé-réalité qui ponctuent les grilles d'une MTV au bout du rouleau.

 

Miley, comme à son habitude déguisée avec tout l'attirail d'une bachelor party qui tourne mal, compte les points en se moquant joyeusement (et discrètement) du "gratin" pop à l'égo démesuré présent sur le plateau. Avec de petits sketchs pas franchement renversants, l'enfant terrible qui avait mis Twitter à feu et à sang lors de son twerk d'anthologie avec Robin Thicke aux VMAs édition 2013, se contente de passer les plats. Ce n'est qu'à la toute fin du show, après une succession de prestations alarmantes de banalité, qu'on comprend enfin la vraie raison de la présence de Miley : elle clôturera la soirée avec un nouveau titre totalement bizarre, accompagnée d'un impressionnant cast des queens de la RuPaul's Drag Race, tout en annonçant la sortie surprise d'un nouvel album gratuit !

 

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Il n'a pas fallu quelques heures pour que les discussions autour de Taylor Swift et ses copines, la dégaine de clochard mal embouché de The Weeknd, les velléités politiques de Kanye West et les pitreries de Nicki Minaj soient éclipsées sur les réseaux sociaux par ce nouveau disque étrange et inquiétant : il comporte 23 titres et il semblerait qu'il ne soit pas très facile d'accès.

 

En effet, Miley Cyrus & Her Dead Petz n'est pas un disque de tubes pop. Produit avec l'aide de Wayne Coyne, le vieux babos déguenillé du groupe de rock psychédélique The Flaming Lips, mais aussi avec le fidèle Mike Will Made It (responsable des sonorités urbaines de l'album Bangerz), ce disque n'est pourtant pas aussi bizarre et indigeste qu'on pouvait le craindre. Même s'il n'a rien coûté à sa maison de disques (pas de sessions d'écriture avec 15 songwriters suédois comme sur certains titres actuels du Billboard), même s'il est balancé gratuitement en ligne et qu'il n'est pas à proprement parler un vrai album officiel de Miley Cyrus, il n'en est pas pour autant une succession de titres au son crade et bordélique enregistrés à la hâte dans les toilettes d'un resto-route. C'est au contraire un très bon disque étonnant, surprenant et attachant. Dead Petz (on va l'appeler comme ça pour gagner du temps) s'écoute comme la bande-son d'une fin de soirée très enfumée avec Miley, où l'on s'amuse bien, on chille, on boit beaucoup et on refait le monde en faisait des bisous au premier venu. Musicalement, on passe souvent d'une ballade electro-psyché à une autre, avec des clins d'oeil au trap ("Dooo It!"), à la synthpop ("1 Sun") ou aux bidouillages de PC Music ("I'm So Drunk", beaucoup trop court). Les lyrics sont d'une naïveté confondante mais réellement touchante (Miley parle de la mort de ses animaux de compagnie, de fumette, d'emojis, de rêves chelou, de sexe ou d'amours contrariées), et on a l'impression d'écouter les confidences d'une petite soeur qui sort de l'adolescence, pleine d'envies et de chagrins. Dead Petz est expérimental certes, mais avec un esprit joyeux, curieux et pop.

 

 

 

Seulement voilà : j'ai lu ici ou là que Dead Petz était un album fabuleux, le ARTPOP que Lady Gaga aurait dû faire, le disque pop de la décennie, et ceci de la part de gens qui auparavant ne l'évoquaient que pour parler de gifs parodiques du clip de "Wrecking Ball". On va se calmer un peu.

 

Dead Petz, le vrai ARTPOP ? Oui et non. Oui parce que c'est un album aventureux, exigeant, riche et excitant, et que Lady Gaga n'a pas forcément coché toutes ces cases à l'époque de ce disque, pourtant loin d'être aussi catastrophique que ce qu'en disent les critiques. Mais non parce que Dead Petz n'a pas vocation à être un "game changer". C'est juste un album chelou qui part dans tous les sens, et en cela il n'est pas si différent de centaines d'autres disques indie pop qui sortent tout le temps dans l'indifférence générale des fans de pop. Quand on écoute "Karen Don't Be Sad", l'influence de Yoshimi Battles The Pink Robots des Flaming Lips est frappante. Le disque est sorti il y a près de 13 ans. Si Dead Petz tient debout, c'est avant tout grâce à la personnalité rayonnante et à la grosse fringale de Miley pour les nouvelles expériences et les collaborations artistiques en tout genre. L'intérêt autour de ce projet repose en grande partie sur l'enthousiasme contagieux de son interprète.

 

 

Mais je pense que Bangerz aurait dû lui aussi recevoir les louanges des critiques et du grand public, car plus accessible, plus concis, plus proche de l'ADN pop de Miley. Car sans remettre en cause sa sincérité et sa générosité, il se pourrait que les gens aiment ce nouveau disque pour de mauvaises raisons.

 

En tant que fan de pop, je trouve toujours dommage qu'une artiste féminine se sente obligée (parfois inconsciemment) de cabotiner et se contorsionner dans tous les sens pour démontrer au public sa valeur artistique. Dans le cas de Miley, même si elle ne s'en rend peut être même pas compte, il y a l'envie tout à fait légitime de montrer qu'elle n'est pas que la grosse dévergondée dégueulasse, le freak, la fille de mauvaise vie, la mascotte du slut shaming, le souffre douleur à la fois des défenseurs et des pourfendeurs du féminisme. Miley Cyrus est devenue une insulte que les internautes balancent à toute jeune fille qui serait coupable d'une mauvaise tenue vestimentaire ou toute autre vulgarité interdite à la gent féminine. Et même si la nana semble s'en foutre comme de son dernier tampon, en tant qu'être humain et surtout en tant qu'artiste, Miley a le droit de rechercher l'approbation, au moins dans son travail.

 

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Or, on sous-entend trop souvent que les divas pop ne sont que des marionnettes un peu cruches aux mains de producteurs mâles qui eux, savent ce qu'ils font. En France, Lady Gaga n'a décroché les faveurs du grand public que lorsqu'elle est venue jouer ses titres au piano dans Taratata, comme priée de montrer patte blanche en tant que vraie musicienne. Quand l'album surprise de Beyoncé est sorti, c'est la démonstration de force d'une artiste au sommet du pouvoir et de la chaine alimentaire de la pop, qui dicte ses nouvelles règles pour vendre de la musique (finalement davantage que le contenu réel d'un disque avare en tubes radio), qui l'a définitivement imposée comme la wonder girl intouchable qu'elle est aujourd'hui. Ces derniers mois, c'est Rihanna, infatigable usine à club bangers, qui cherche à prouver sa valeur ajoutée artistique, convaincue que son palmarès de tubes populaires ne vaut rien sans un disque sérieux, pompeux, "intemporel".

 

Du coup, l'argument selon lequel Miley, Gaga ou Rihanna ne sont pas de vraies artistes si elles se contentent de mélodies girly pop, et qu'elles doivent faire leurs preuves en publiant des disques plus exigeants, est au fond incroyablement sexiste. Personne n'aurait l'idée d'aller demander à Ed Sheeran de cesser d'écrire ses ballades neuneus sur les joies de la friend zone pour devenir un Thom Yorke ou un Wayne Coyne. Personne ne demande à Nick Jonas d'aller s'enfermer en studio avec des producteurs indés pour changer le cours de la pop. Or, c'est ce que la critique attend de Gaga et de toutes les autres : prouver qu'elles ne sont pas seulement des basic bitches qui font danser les gays, pas seulement des filles donc, mais aussi de vraies artistes comme les hommes. Le grand public fait preuve d'un sexisme presque inconscient, conditionné par des décennies entières de médias généralistes trustés par les goûts de décisionnaires masculins.

 

 

 

Voilà pourquoi Bangerz, malgré certains défauts, aurait déjà dû recevoir toutes ces louanges. En voyant les blogueurs et les journalistes s'extasier devant Dead Petz, une fois de plus on constate que tout le monde prend le train en marche, comme surpris que ce gag ambulant de Miley puisse sortir un disque décent. Du coup, on en fait des caisses, comme pour rattraper le fait que personne n'a reconnu le talent de Miley Cyrus à l'époque de Bangerz, trop occupés à commenter copieusement ses clips dénudés et à créer des gifs animés de ses meilleurs twerks. Si Miley vous a bluffés avec Dead Petz, ce n'est pas parce qu'elle est devenue soudainement un génie de la musique, c'est tout simplement parce que vous étiez trop distraits par tout le reste pour vous rendre compte qu'elle avait quand même un peu de talent à la base.

 

On en revient au timing. Maintenant que Miley a démontré qu'elle pouvait être autre chose qu'un sujet de plaisanterie dans les sujets people rigolos des émissions de Canal+, maintenant qu'elle a retourné habilement le cerveau d'une partie de ses détracteurs, il ne lui reste plus qu'à faire ce qu'elle sait faire de mieux : rester elle-même. Les gens vont progressivement l'accepter en tant qu'artiste, en tant qu'icône médiatique, en tant que personnage à part entière de la pop culture, comme lorsque Britney Spears avait balancé la sombre machine à danser Blackout, album devenu culte un peu par accident, et qui lui avait servi de nouveau départ dans la jungle hostile du music business. Faites lui confiance, Miley ne va pas s'assagir. Elle aura juste gagné un peu plus de crédit, et quelques oreilles de plus se pencheront désormais sur ses prochains titres. Quand je vous disais qu'elle sait ce qu'elle fait.