Pourquoi les MTV Europe Music Awards ne servent à rien

rita ora ema 2017

Quand mes parents ont eu la bonne idée de s'abonner au bouquet Canalsat à la fin des années 90, un monde nouveau s'ouvrait à moi : j'avais enfin accès à la chaîne MTV, le Saint Graal de tout fan de pop qui se respectait à cette époque. Je précise "à cette époque", car en 1998, MTV France, la succursale française un peu cheap que l'on connait aujourd'hui n'existait pas encore. Ce qu'on voyait à l'écran, c'était principalement des émissions importées des Etats-Unis, sans sous-titres ni les agaçants voiceover qui ruinent l'ambiance. Mais il y avait surtout, on ne sait pas trop pourquoi, énormément de shows diffusés depuis la Suède.

 

La chaîne s'appelait alors MTV Europe, mais aurait tout aussi bien pu s'appeler MTV Stockholm : toute la journée, entre deux passages de "Together Again" de Janet Jackson, des animateurs blonds comme les blés avec des piercings à l'arcade se succédaient pour nous parler de groupes scandinaves totalement inconnus mais assez géniaux, comme par exemple Whale, Kent ou les omniprésents finlandais de Bomfunk MC's et leur excellent "Freestyler". Tous les soirs en revenant du lycée, je restais scotché devant cette incongruité télévisée : une chaine de télé incroyablement cool, pas du tout destinée au public francophone (même les pubs étaient en anglais), simplement là pour assurer une présence du groupe MTV / Viacom dans le bouquet Canalsat.

 

 

Et puis un jour, deux ans plus tard juste avant l'été 2000, MTV France apparait, et la fête est finie. Adieu les beaux blonds et les groupes de rock danois, bienvenue au MTV qu'on connait depuis, celui des programmes de real-tv crétins, importés de la maison-mère américaine et diffusés avec 2 ans de retard. En quelques jours, la chaine la plus incroyable jamais diffusée en France devient un robinet à merde de plus, précurseur des contenus cheap et ultra-rentables de la TNT.

 

MTV à la française devient alors, pour la génération suivante, une nounou télévisuelle. Pour les millennials, MTV, ce sont des heures passées avachis devant des épisodes de Next et Pimp My Ride. Il y a bien eu les Osbournes qui m'ont consolé quelque temps de la perte de MTV Europe, mais le mal est fait : depuis ce jour, je voue une rancune tenace au groupe MTV en particulier, mais aussi à la politique commerciale des contenus adaptés à chaque "territoire". Moi, je voulais rester à Stockholm pour toujours.

 

 

Nous sommes en 2017 et dimanche dernier se tenaient les 24èmes MTV Europe Music Awards. Malgré des audiences dingues (le show fait curieusement plus de vues que la version US, sans doute parce que la diffusion "légale" du show couvre davantage de pays), on peut facilement affirmer que cette énième cérémonie, coincée entre les VMAs (le show américain) et les American Music Awards, n'apporte absolument rien d'original et surtout, il ne s'y passe désormais plus jamais rien.

 

La grande soeur ricaine a toujours cherché à créer le buzz à chaque édition, avec des prestations qui créent l'évènement et qui affolent les réseaux sociaux. La version européenne, au contraire, fait constamment profil bas. Qui peut dire ce qu'il s'est passé dimanche dernier ? On a juste découvert que les européens semblent adorer le chanteur canadien Shawn Mendes, qui a tout raflé dans les principales catégories.

 

 

Certes, il est difficile de rivaliser avec l'énorme monstre médiatique que sont les VMAs. Il est loin le temps où Jean-Paul Gaultier présentait le show itinérant en direct du Zénith de Paris, en 1995 (la deuxième édition). MTV avait tellement fait de promo qu'il était impossible de ne pas savoir que ça allait avoir lieu : des tonnes de pages de pub dans la presse, en affichage et en radio nous assuraient que ce serait l'évènement de l'année, alors même que peu de foyers ici avaient accès à la chaîne. Depuis, le show s'est déplacé à Berlin, Milan, Amsterdam, Londres, Glasgow, Barcelone, Lisbonne, Madrid, Stockholm ou Dublin, mais plus jamais à Paris.

 

En plus de 20 ans d'existence, le programme a connu des changements radicaux. Au départ censé être la vitrine de MTV Europe (et donc des artistes et célébrités européennes) à travers le monde, très vite l'émission s'est transformée en VMAs du pauvre, avec les mêmes artistes américains d'une cérémonie à l'autre. A leurs débuts, les EMA étaient l'occasion de voir beaucoup plus de George Michael, de groupes britpop et de Spice Girls que de Mariah Carey, mais au tournant des années 2000, les invités des deux shows deviennent interchangeables. On retrouve les mêmes Taylor Swift, Katy Perry ou Miley Cyrus d'un continent à l'autre. D'où cette question légitime : à quoi ça sert de s'appeler MTV Europe si aucun artiste européen n'est programmé ?

 

 

Outre les "regional nominations", ces catégories destinées spécifiquement à quelques pays de l'Union Européenne (mais aussi les pays asiatiques et en gros, tous les territoires où MTV est broadcastée), les MTV Europe Music Awards n'ont plus d'européen que le nom. Outre Rita Ora, Zara Larsson, Anne-Marie, les Clean Bandit, Stormzy, Charli XCX, David Guetta (et on a vu la rappeuse anglaise Stefflon Don dans le pre-show), dont les prestations représentent 1/5ème de l'émission, on ne peut pas dire que cette année l'Europe ait été représentée à sa juste valeur. Le plus surprenant, c'est que paradoxalement, la pop européenne n'a peut être jamais été aussi puissante et influente que ces dernières années. Il n'y a qu'à regarder la santé éclatante de cérémonies telles que l'Eurovision, ou jeter un oeil sur le vivier d'artistes et de producteurs stars dans les pays scandinaves pour constater que ce ne sont pas les talents qui manquent.

 

Allez, au hasard, il n'aurait pas été plus excitant de voir sur scène des artistes comme Dua Lipa, Tove Lo, Tove Styrke, Astrid S, ALMA, Yelle, Sigrid, RAYE, Oscar And The Wolf, Declan McKenna, Wolf Alice, La Femme, Jain, les soeurs d'Ibeyi, ou même Louane, et surtout toute la scène urbaine qui explose un peu partout ? Certes, tous ces artistes n'ont pas la notoriété d'une star US, mais ça ne serait pas justement plus marrant de voir comment nos artistes locaux se débrouillent avec un staging énorme et de très gros moyens ? Pourquoi les EMA ne pourraient pas devenir une sorte d'Eurovision du cool, en tenant compte des scores des artistes européens sur Spotify et de leur succès dans les festivals ? Le vieux continent n'a pas à rougir de sa production locale, loin de là. Alors pourquoi on devrait se priver d'une vitrine comme MTV ?

 

 

MTV perd chaque année du terrain sur son image cool : elle n'a plus rien de la chaine pionnière des 80's et prescriptrice des 90's. A côté de YouTube, Netflix et les services de streaming, elle ressemble aujourd'hui davantage à une machine à fric un peu ringarde à laquelle on s'intéresse une fois dans l'année, au moment des VMAs, qu'à un média jeune et excitant. En réinventant ce vieux truc fatigué des EMA et en surfant à nouveau sur l'image alternative et un peu exotique que projette la musique européenne dans le reste du monde, MTV pourrait se refaire une santé et redevenir, l'espace d'une soirée, la chaine qu'on a envie de regarder.