Comment Orelsan a rendu la classe moyenne bandante ?

orelsan la fête est finie

Le nouvel album d'Orelsan est arrivé dans les bacs vendredi dernier. Le soir-même au micro de Planète Rap, l'émission phare de la radio hip-hop-cagole Skyrock, Aurélien, son pote Gringe et leur garde rapprochée apprennent en direct à l'antenne, de la bouche d'un auditeur, que le CD est déjà en rupture de stock dans certaines Fnac. Trois jours plus tard, les chiffres tombent et sa maison de disques se frotte les mains : La fête est finie, son troisième opus, est déjà disque d'or.

 

Orelsan, le petit con joufflu et crâne rasé qui s'était fait rapidement un nom sur la foi de ses punchlines crétines de jeune blanc désabusé (sur son premier album Perdu d'avance en 2009), est aujourd'hui un BG de 35 ans aux veuch' les plus soyeux du rap game, et désormais l'artiste de musique urbaine préféré des français, aux côtés de Stromae et Maître Gims... qu'on retrouve d'ailleurs tous les deux sur son dernier disque. Au départ, franchement, c'était pas gagné. Il suffit de revoir le clip de "Changement", son look de traîne-savates mal dégrossi et ses lyrics un peu pétés pour apprécier les gros progrès effectués en presque 10 ans. Pourtant, déjà à l'époque, il y avait ce truc, cette marque de fabrique, ce savoir-faire qu'il peaufinera avec le temps.

 

 

On dit que les meilleurs groupes sortent toujours le même disque, et c'est valable pour Orelsan et son crew inchangé depuis ses débuts. Tous ses albums sont des safaris photo dans les villes moyennes de province, où des jeunes de la classe moyenne vivent une vie moyenne avec les moyens du bord. Un univers rieur au milieu de zones périurbaines où il pleut tout le temps, de centres commerciaux plus grands que des villages, de chambres d'ado qui sentent la chaussette, la pizza froide, la weed et le foutre séché. Une sous-culture hétéro beauf, alimentée par les virées entre potes à boire des coups sur des parkings de Macumba, ou dans des centre-ville où les commerces ont été remplacés par des kebabs.

 

La ville d'Orelsan, c'est une ville triste, une ville d'ennui, une ville de solitude, comme la chanson de Sardou ouais. Les deux artistes ont d'ailleurs ce truc en commun : cette regrettable propension à vouloir choquer le bourgeois avec des effusions de violence verbale, l'un affirmant "J'ai envie de violer des femmes, de les forcer à m'admirer", l'autre "Jte collerai contre un radiateur en te chantant Tostaky". Oui, peu importe l'époque, les femmes prennent souvent cher dans l'imaginaire de la France éternelle.

 

Mais depuis quelques années, Orelsan a arrondi les angles, adouci son image. Il est devenu la tête de gondole, avec son pote Gringe, d'une culture jeune ultra cool, grâce à son personnage de branleur sarcastique dans la série Bloqués et dans le film Comment c'est loin. Le grand public y découvre son ironie et beaucoup de gens s'identifient à ce nouvel anti-héros. Ses points forts : un discours de loser lucide, des punchlines graveleuses et hilarantes, mais aussi une mélancolie propre aux provinciaux (il a passé son adolescence à Caen). Les semaines entières où il ne se passe rien, l'ennui, la déprime, on sent que c'est du vécu : on le sait parce qu'on l'a vécu nous aussi, dans d'autres endroits, avec d'autres gens. Et c'est sans doute pour ça qu'en 2017, Orelsan est devenu le chanteur préféré de tout le monde. Parce qu'il y en a du monde en province, finalement.

 

Car sa singularité, son "plus produit", c'est qu'aucun autre rappeur avant lui n'avait parlé de cette France des banlieues pavillonnaires, des Courtepaille et des galeries marchandes, avec des mots comme "J'viens de la classe moyenne, moyennement classe / Où tout le monde cherche une place, Julien Clerc dans le monospace". Le succès d'Orelsan aujourd'hui, et du rap variétés en général, sont le résultat d'années de frustration, quand on n'avait le choix qu'entre la "nouvelle chanson française" de Cali et Bénabar, ou le rap pur et dur, un peu trop viril et premier degré pour nous.

 

 

Le dernier album d'Orelsan, au contraire, c'est un folklore qu'on connait par coeur. Musicalement, il ratisse large, passant en revue tout le paysage radiophonique de la FM de 2017 : de la ballade piano tropical pop de "La fête est finie", de l'instru dépressive de Stromae sur "Tout va bien", du cloud rap sirop pour la toux à la PNL sur "La lumière", mais aussi de l'afro trap, des sons à la Fakear, de la house britannique, des ambiances 80's avec saxophone en surchauffe (sur l'incroyable "La pluie"), les voix des jumelles d'Ibeyi, des featurings de Nekfeu et de Maître Gims, et parfois des refrains plus pop qu'un tube de Louane. Pas de doute, on est en direct en simultané sur Skyrock, France Inter, Nostalgie et NRJ sur l'autoroute des vacances.

 

Les textes, dont beaucoup sont chantés, sont d'une mélancolie plus apaisée que par le passé, et souvent très drôles. Le rappeur semble parfois au bout de sa vie ("San" frôle le burnout), parfois totalement assagi. Parce que La fête est finie est surtout un album sur son couple. Où il met en sourdine ses punchlines sur les bifles, pour jouer la sérénade à la fille qui partage sa vie depuis 7 ans ("J'comprends pas pourquoi tu t'inquiètes quand tu prends du poids / Pour moi c'est ça d'pris, ça fait toujours plus de toi"). Sur ce disque, on redécouvre que la fragilité du mâle hétéro, c'est autant la bêtise et la faiblesse de ses insécurités que la mièvrerie la plus confondante une fois que l'amour lui tombe dessus. Trop choupi Orelsan ? Pas tout à fait : quand il faut sortir l'artillerie lourde comme sur le club banger anti-franchouillard "Christophe", il n'y va pas à moitié ("Marion Maréchal me suit sur Twitter / J'aimerais la baiser, briser son p'tit coeur / J'ai envoyé ma bite et un emoji fleur / Bonjour à papi j'suis pressé qu'il meure").

 

Au final, le succès de cet "album de la maturité" plus optimiste qu'il n'en a l'air, on le doit au fait qu'il réconcilie pas mal de gens. Les allergiques à la jeunesse et à la culture rap fondent sur les textes sensibles de "Notes pour trop tard", les gros durs qui n'écoutent que de la trap se font avoir par les refrains chantés, Paris redécouvre le potentiel romanesque de la province... Difficile de faire plus fédérateur. Puis surtout, si un ouvrage comme La France de 2017 pour les nuls existait, ce serait ce disque. Comme Doc Gyneco (Première Consultation) parlait de la France de 1996 ou Diam's (Dans ma bulle) de celle de 2006, Orelsan propose déjà un nouveau classique dans la pléiade délurée du rap français.