L'Eurovision 2015, on en parle ?

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Heureux les novices de l'Eurovision. Comme cette pote hétéro que vous avez poliment invitée à venir participer à votre "bingo Eurovision", qui débarque à la soirée pleine de préjugés ("mais pourquoi vous vous infligez ce truc ringard ?") et qui repart chez elle bien pompette et déniaisée :  elle découvre que l'Eurovision au final c'est pop, moderne, très drôle, passionnant et presque aussi sanglant qu'un épisode de Game of Thrones. Et sa vie ne sera plus jamais comme avant.

 

Le grand rendez-vous des ballades sirupeuses et de l'eurodance la plus décomplexée a eu lieu samedi, en Autriche. La gagnante de l'année dernière, Conchita (anciennement Conchita Wurst, elle a décidé de se débarrasser de ce blase un peu gênant), anime la soirée avec sa tchatche camp et glamour, une barbe parfaitement taillée, une classe folle et un humour discret mais kinky, telle un mashup de Lana Del Rey, Audrey Hepburn et Simone Garnier.

 

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On le sait, la majorité du public de ce gigantesque concours est constituée de gays aussi hystériques que passionnés et totalement dévoués à la cause pop. Et cette édition 2015 reflète bien les goûts de ce coeur de cible : après plusieurs années de dance music (après tout, on se trouve sur le continent qui a inventé l'EDM) et de "novelty" comme disent les Anglais (traduisez "chansons gogoles pour amuser la galerie"), les choses se sont sévèrement calmées cette fois-ci, avec davantage de pop très carrée, très FM, très current mais très sage finalement. Fini le temps des mamies russes qui préparent des cookies en dansant, des métalleux déguisés en créatures des enfers, adieu Verka Serduchka, Epic Sax Guy ou les jumeaux irlandais et sautillants de Jedward. En 2015, le concours se rachète une dignité et une crédibilité, mais le fun se prend un vieux coup derrière la nuque longue.

 

 

Cette année, presque sans surprise, c'est le candidat suédois qui remporte la victoire. Donné archi favori dès le début du concours, Mans Zelmerlöw a le profil idéal : il a le son scandipop de 2015 (une sorte de pop dansante un peu mièvre à la Avicii), un staging intéressant (sa chorégraphie est calée sur des projections animées) et surtout, un atout majeur : le gars est un pur bogosse, dans le genre poster boy pour le magazine Têtu. Impossible de perdre avec ça, et les Suédois le savent bien : c'est eux-mêmes qui l'ont sélectionné parmi des dizaines d'autres lors d'un gigantesque talent show local suivi par plus de la moitié du pays : le Melodifestivalen. Mans est une bête de concours, habitué des télé-crochets, un gars multi-cartes, chanteur et animateur chouchou du public depuis des années. Il est souriant, fait des bisous à la caméra quand un pays lui file 12 points, mais à cause de quelques phrases lâchées récemment en interview, il était à deux doigts de la grosse boulette et de l'incident diplomatique. On a appris en effet que le bellâtre était un peu mal à l'aise avec la cause homosexuelle, un comble quand on veut représenter son pays lors de l'émission la plus gay friendly de la planète.

 

 

Le "gay agenda", c'est en effet l'obsession de beaucoup de participants et de spectateurs : entre Conchita, les rainbow flags qui virevoltent dans le public pendant les prestas et les bisous entre danseurs mâles, l'Eurovision est depuis longtemps totalement décomplexée sur les questions de visibilité. Et la présence de la Russie, un des pays d'Europe les plus répressifs sur la question (et qui termine pourtant deuxième cette année), est vue d'un très mauvais oeil par l'ensemble des délégations. A tel point que l'organisation a pris les devants, en utilisant un dispositif anti-huées, pour ne plus que les candidats russes se fassent conspuer lors de leur passage. Le bidule n'a d'ailleurs pas très bien fonctionné : on entend toujours la foule gronder lorsqu'arrive le tour de Mother Russia.

 

Parmi les innombrables tubes plutôt efficaces de la sélection, une chanson a particulièrement retenu notre attention. La candidate pour la Lettonie, Aminata, est arrivée sur scène avec un titre assez fou : "Love Injected". Imaginez FKA Twigs si FKA Twigs faisait de bonnes chansons. Voilà le topo. Aussi dark et épique qu'un "Euphoria" (de Loreen, gagnante suédoise de l'édition 2012), la chanson termine sa course à la 6ème place, et c'est amplement mérité. Une belle découverte.

 

 

Mais la bonne surprise de cette saison nous vient de Belgique. Loïc Nottet, jeune recrue de 19 ans, ancien candidat de The Voice Belgique, s'est hissé à la quatrième place du classement avec "Rhythm Inside". Ce plébiscite total de la part des Européens est né d'une évidence : ce titre est d'une efficacité redoutable. Dans une veine pop électronique et minimale qui fait immanquablement penser aux sonorités de Lorde ou Christine And The Queens, "Rhythm Inside" résume à la perfection ce qu'est devenu le concours au fil des ans : un endroit où l'expérimentation, les profils atypiques et surtout les bonnes chansons ont trouvé leur place, mettant à mal ce vieux cliché selon lequel l'Eurovision ne serait qu'une succession de kitscheries et de grosses chanteuses à voix hurlant sous une tempête de ventilos (je vous rassure, elles sont encore là). Le candidat belge, au capital sympathie immense, a réalisé une performance qui a mis tout le monde d'accord.

 

 

Après un tel plébiscite pour la Belgique, un pays qui n'a pas toujours réalisé des scores aussi honorables, difficile pour la France de se trouver des excuses face à une énième défaite cuisante. Avant avant dernière du classement, "N'oubliez Pas", la ballade déprimante et surannée de Lisa Angell, fait un peu peine à voir au milieu de chansons souvent bien ancrées dans leur époque. Un score mérité ? Totalement. Le choix de ce titre semble avoir été fait en dépit du bon sens. La chanteuse, très peu soutenue par les Français à la base, avait peu de chances de tutoyer les sommets avec un poncif variétoche sur les horreurs de la guerre. Et pourtant, Nathalie André, directrice des divertissements de France 2, sur qui repose ce choix de chanson discutable, semble tomber des nues. C'est à dire qu'en regardant le show de cette année, elle s'est retrouvée devant le fait accompli :  l'Eurovision n'est plus ce concours de choucroutes, de tenues tartignoles et de ballades ringardes, comme le grand public français semble s'obstiner à le penser.

 

Seulement voilà : avant d'envoyer une candidate au casse-pipe, il fallait peut-être se renseigner avant, non ? En avouant en interview sa méconnaissance totale du sujet, Nathalie André répond implicitement à la question du "Pourquoi la France se retrouve dans le fin fond du classement tous les ans ?" Parce que les sélectionneurs, ceux qui imposent les artistes qu'on envoie chaque année (au lieu de soumettre ce choix au public, comme le font de nombreux pays), ne regardent pas le show, ne semblent pas l'apprécier, bref ils s'en foutent complètement. Et au lieu de faire amende honorable et de reconnaître ses torts, la France, en mauvaise perdante et en toute mauvaise foi, fait la gueule et menace chaque année de se retirer du concours. Elle n'a pourtant plus l'excuse, évoquée régulièrement, du vote géopolitique, du copinage entre voisins : la Belgique n'a pas assez d'alliés pour la porter à bout de bras jusqu'à la 4ème place. L'argument de la langue anglaise utilisée par beaucoup de pays, qui désavantagerait ceux qui chantent dans leur langue natale, est également faux : l'Italie se retrouve à la troisième place avec un titre chanté en italien. Petit message donc à Lisa Angell et son producteur Jean-Claude Camus : et si la chanson envoyée par la France était simplement un très mauvais choix et qu'il ne fallait s'en prendre qu'à vous-mêmes ?