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Glory : à quoi ressemble la pop de Britney Spears en 2016 ?

Après une année 2015 où les big popstars étaient aux abonnés absents, on ne pensait pas forcément que la Légendaire Miss Britney Spears ferait partie des premières à dégainer un nouvel album. Il faut dire que ses dernières nouvelles discographiques dataient des flops de son duo avec Iggy Azalea (en 2015) et de Britney Jean (en 2013), un disque hybride et bâclé, où les club bangers décérébrés et les ballades chrétiennes s'enchainaient sur l'autoroute de la vacuité. Depuis, Britney était surtout devenue une attraction de plus sur le strip de Las Vegas, capitalisant sur la nostalgie grâce à son impressionnante collection de tubes. Mais qu'est-ce que Britney peut encore apporter au paysage pop de 2016 ?

 

A 34 ans, avec ses deux têtes blondes et son back catalogue en or massif, Britney Spears pourrait passer pour une figure du passé. De Charli XCX à Grimes en passant par hum, Meghan Trainor, les nouvelles popstars du moment la citent en tant qu'influence. En gros, c'est une daronne qui a beaucoup oeuvré pour la cause pop, mais qui pourrait très bien se mettre au vert et vivre confortablement de ses rentes. Seulement voilà : comme le stipulent les célèbres mugs "Britney survived 2007", la reine de la pop des millennials n'a pas connu toutes ces années de galères et d'humiliations pour se ranger et regarder les plus jeunes se disputer son héritage. Nous sommes en 2016, et Britney est toujours dans le game, bel et bien vivante.

Glory est son 9ème album, et depuis Britney Jean, presque 3 ans se sont écoulés. Entre temps, le paysage musical a eu le temps de changer assez radicalement. La pop music a évolué. On avait quitté Britney se trémoussant au milieu d'une piscine de requins sur la grosse turbine eurodance "Work Bitch". Cette débauche de fanfreluches sonores et visuelles est devenue totalement incongrue aujourd'hui. La pop de 2016 est plus calme, plus sobre, presque minimaliste (pour ne pas dire lymphatique). Les jeunes filles pleurent des larmes de sang en écoutant les ballades sombres et vicelardes de The Weeknd. Zayn Malik et Nick Jonas ont troqué leur dégaine de minou pour jouer les mâles torturés sur un tapis sonore de beats hip hop au ralenti, de bruits de fonds marins et de claviers dépressifs. Les refrains n'existent plus vraiment (trop vulgaire), et les titres qui bougent un peu se font rares. A priori, la tâche va être compliquée pour la reine du dancefloor : la nouvelle génération est accro à la langueur moite et libidineuse du r'n'b alternatif.

 

Comment faire quand les jeunes filles, les gays et les radios US ne veulent plus danser ? La nouvelle Britney prend le problème à bras le corps : Glory sonne précisément comme la pop de 2016, chill, sexy & moody. On y retrouve un patchwork de tout ce qui marche dans les charts, du r'n'b qui fait la gueule, de la house tropicale, de la soul reconstituée : tout y est, toutes les cases sont cochées. L'équipe présente sur le disque a beaucoup oeuvré aux succès des derniers albums de Justin Bieber et Selena Gomez, et ça s'entend. Glory ne serait donc qu'une vaine tentative pour se raccrocher au wagon de la pop en débauchant les tueurs du moment ? A ma grande surprise, non. Au contraire.

 

Quand le disque a fuité, les fans se sont vite empressés de le considérer comme l'un des meilleurs depuis In The Zone et Blackout. Bah ils ont raison. Comme pour ces illustres prédécesseurs, les gens derrière les manettes de Glory ont su capturer l'essence musicale de l'époque (normal : c'est eux qui font le Billboard), tout en modifiant suffisamment la formule pour qu'on retrouve la "touche Britney", ce petit quelque chose en plus qui s'appelle le fun.

 

 

Si les ballades "Make Me..." et "Just Luv Me" sont sans doute les points faibles du disque, trop calquées sur "Good For You" de Selena et "I'll Show You" de Bieber, le reste de l'album est aussi radieux, frais et inventif qu'il est possible de l'être. Si Glory était sorti en juin, on l'aurait déjà usé jusqu'à la corde : c'est clairement un disque d'été. Le génial "Do You Wanna Come Over?" semble être l'hymne "fan service" qui met tout le monde d'accord, et qui n'attend qu'une sortie en single pour dévoiler tout son potentiel de tube dancefloor de la génération Grindr. "Love Me Down" évoque la pop pour rooftops saupoudrée de reggae de Major Lazer ou Elliphant. "Man On The Moon" ou "Better" s'emparent de la pop tropicale pour en faire de vraies bonnes chansons, de celles qui ambiancent la FM scandinave. "Liar" est une grosse badasserie d'un autre temps, qui sonne comme un tube country pop des années 2000, ou un titre de la BO d'Empire (au choix). "Clumsy" est un titre hybride, entre le club banger et la chansonnette soul pour glee club en surchauffe. Et "If I'm Dancing" évoque une rencontre improbable entre Jennifer Lopez et DJ Snake, ou quelque chose du genre. Ca fourmille d'idées, de bizarreries (l'étrange "Coupure Electrique" chanté dans un très mauvais français) et d'envie.

Il y a une private joke chez les fans de Britney Spears : à chaque passage télé ou sur scène, à chaque nouveau clip, chaque nouvelle chanson, on trouvera toujours un mec pour s'extasier "Elle n'a jamais paru aussi vivante". Comme si ses performances et sa voix sur disque, souvent robotiques, impliquaient que paraitre vivante ne serait qu'une option, un moment rare chez l'icône pop. Au risque de faire rire les rageux, je suis obligé d'affirmer que sur Glory, Britney n'a jamais paru aussi... impliquée. Ce disque RESSEMBLE à Britney. Certes, elle voulait sortir des sentiers battus, et au final elle ne fait que s'approprier des ambiances popularisées ces dernières années par les radios et internet. Autre bémol : même si le voyage est très agréable, difficile de savoir si Glory réussira à placer un vrai tube dans les charts. Sans véritable single évident, parviendra-t-elle à capter l'attention au delà de son cercle de fans ? On sait que la promo n'est pas son activité favorite, il va pourtant falloir qu'elle fasse la tournée des popotes pour défendre ce disque qui le mérite.

 

Mais Glory est fascinant dans sa façon de tordre les clichés pop de 2016 pour les adapter à la "marque" Britney. Tout le génie de ce disque est d'avoir su jongler entre une production "artsy fartsy" (pour reprendre ses propres termes) et la logique commerciale d'une popstar censée faire danser les gays et vendre des parfums aux jeunes filles. Glory est donc une rencontre fructueuse entre deux univers : la pop moderne, un peu trop self conscious et suintant la mélancolie (et la prétention ?), et un songwriting à l'ancienne, léger et mélodique, presque naïf. Au final, si tout se passe bien, ce sera peut être la plus belle victoire de Britney, et la plus ironique : retrouver les faveurs du public et des médias avec un disque... bipolaire.