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Beyoncé, Janelle Monáe, Todrick Hall : l'album visuel est-il l'avenir de la pop ?

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Fin décembre 2013, Beyoncé s'apprête à dévoiler ce qui constituera l'un des sommets de sa carrière : son légendaire album surprise éponyme, accompagné de ses 17 vidéos. A l'époque, il s'agit d'un véritable tour de force technique. En effet, comment parvenir à enregistrer et mettre en images, entre deux tournées mondiales et dans le secret le plus total, un album complet ? Seule une artiste comme Beyoncé a les reins et le compte en banque suffisamment solides pour s'atteler à une telle tâche. Et c'est sans doute la raison pour laquelle peu de chanteuses pop ont suivi son exemple : trop de boulot, et, peut être, pas assez d'idées ?

 

Nous sommes en 2018. Beyoncé a depuis renouvelé l'expérience "visual album" deux ans auparavant avec Lemonade, un opus à la fois plus politique (avec le brûlot "Formation") et plus intime (Becky, l'ascenseur, toussa). La formule marche d'ailleurs tellement bien qu'il paraitrait presque impensable que son prochain disque ne sorte plus accompagné des images qui vont avec. Beyoncé est condamnée à l'excellence, et dorénavant, il lui sera difficile de se contenter de ne sortir que des singles de ci de là sans clips blockbusters.

 

 

2018, donc. A quelques semaines d'intervalle, ce sont deux artistes américains, noirs et queers qui balancent chacun leur album visuel. Fin mars, c'est le youtubeur américain Todrick Hall qui débarque avec Forbidden. Un mois plus tard, la chanteuse r'n'b Janelle Monáe dégaine Dirty Computer. L'un vient du music hall et du monde du drag (on connait surtout Todrick Hall pour son rôle de juré dans l'émission RuPaul's Drag Race), l'autre est une artiste très engagée qui a récemment tourné dans deux films multi-récompensés (Janelle Monáe était à l'affiche de Moonlight et Les figures de l'ombre).

 

Mais surtout, ni l'une ni l'autre ne jouit d'une notoriété aussi maousse que celle de Beyoncé. Signe qu'il n'y a pas forcément besoin d'être une énorme popstar pour mettre en chantier un album visuel. Il suffit juste d'un bon pitch. Et de parler de son époque.

 

Janelle Monáe dévoile un projet plus pop que ses précédents disques. Dirty Computer raconte l'histoire de Jane 57821, qui évolue dans une société totalitaire, dans un futur dystopique où chaque être humain est considéré comme un ordinateur, et chaque aspérité de son comportement (en particulier l'homosexualité) est perçue comme un bug à corriger, à effacer.

 

 

La bande son de Dirty Computer ? Une avalanche de supertubes funky et pop, par une artiste totalement décomplexée, tant sur le fond que sur la forme, et qui s'assume enfin. Après avoir fait son coming out "pansexuel" au magazine Rolling Stone, elle annonce son envie de faire un album pour faire danser les kids chelou qui ne trouvent pas leur place dans l'Amérique peu inclusive de l'ère Trump : "Je voudrais que les jeunes filles, les jeunes mecs, non-binaires, gays, hétéros ou queer qui ont du mal à vivre leur sexualité, qui se sentent rejetés ou harcelés simplement pour ce qu'ils sont, sachent que je suis avec eux. Cet album est pour vous. Soyez fiers."

 

Todrick Hall, quant à lui, propose avec Forbidden un boulot colossal : un album de 30 titres et autant de vidéos, le tout enregistré et tourné par ses soins en deux mois et demi, juste avant d'entamer une tournée mondiale. Le pitch ? Nacirema (American à l'envers) est un pays où toutes les normes sociales sont totalement inversées. Ainsi, dans ce monde aux couleurs joyeusement 60's, il vaut mieux être noir et homosexuel : les blancs sont persécutés (voir le clip bariolé et glaçant de "Ordinary Day", qui renvoie au meurtre de Trayvon Martin en 2012), et les hétéros sont pourchassés et emprisonnés.

 

 

Forbidden est très long (une heure et demi tout de même) mais constitue un mix virevoltant des influences de Todrick Hall, de numéros très Broadway (il a joué notamment dans Kinky Boots et Chicago) à de grosses tracks hip hop avec la drag queen Shangela, ou un club banger sous poppers avec RuPaul. Todrick sait tout faire : chanter, danser, rapper, réaliser, et parfois on s'y perd un peu, et le sujet se dilue souvent dans un long numéro de comédie musicale qu'on imagine pensé avant tout pour une grosse tournée qui en met plein la vue.

 

 

Dirty Computer et Forbidden décrivent des mondes dystopiques à la fois pop et terrifiants, dans lesquels les artistes se mettent en scène, en martyr ou en rebelle, et mettent la lumière sur les périls qui nous attendent si les identités continuent à se crisper, en prônant un monde plus inclusif. Tout ça est bien cool, et on sort du visionnage de ces deux clips géants avec plein de chouettes images dans la tête et l'envie d'en découdre. Mais qu'est-ce que tout ça apporte réellement à la pop, surtout de la part d'artistes pas forcément A-List, qui s'adressent surtout à leur fanbase ?

 

Quand les visual albums de Beyoncé cartonnent avec des concepts patchwork mêlant féminisme, déballage public et conscience communautaire, sans nécessairement raconter une histoire, ceux de Janelle et Todrick vont plus loin en apportant une vraie narration (quand bien même un peu simpliste et fantaisiste) et un semblant de cohérence, mais se retrouvent face à un public plus restreint.

 

La question n'est peut être pas tant de savoir si les albums visuels sont les nouveaux Starmania, Rocky Horror Picture Show ou autres operas rock 2.0 pour la génération des millennials, mais plutôt si ce nouveau format cool peut devenir une mode, et si d'autres popstars vont vouloir exploiter le filon. Imaginez ce que des reines de la pop à l'identité visuelle forte comme Lady Gaga ou Rihanna pourraient créer... A l'heure où beaucoup d'entre elles semblent artistiquement dans l'impasse, l'album visuel peut être une solution. A condition, bien sûr, d'avoir encore quelque chose à dire.